Arrivée de Lysiane

Ayant relu la missive de sir Gilded une dernière fois avec un sourire narquois et le regard pétillant, Lysiane la rangea dans une pochette de sa bourse accrochée à sa ceinture et continua de préparer des affaires dans l’intention d’honorer l’invitation du baron. Bien sûr, elle savait que celui-ci était encore immobilisé par ses blessures à Genève mais justement, elle avait envie de découvrir son domaine avant qu’il ne revienne. Elle pensait qu’ainsi, elle pourrait mieux découvrir qui il était et mettre toutes les chances de son côté pour avoir le dernier mot. Elle lui avait tout de même envoyé un message par pigeon pour le prévenir qu’elle allait se rendre chez lui.

Le jeune fille eut un petit rire en songeant à leur joute verbale et n’avait aucun doute qu’elle saurait le piéger. Elle était ainsi, sûre d’elle, déterminée, audacieuse et parfois impétueuse. Les soupirants qu’elle avait rencontrés l’avaient laissée indifférente car elle les trouvait fades dans leur manque de spiritualité. Elle devait reconnaître que Gilded paraissait ne pas en manquer et cela constituait un défi à ses yeux.

Evidemment, il y avait bien ce jeune homme de l’Ordre des Lames, qui s’efforçait de lui plaire, dont les lettres la troublaient tant elles étaient joliment tournées, passionnées et montraient sa noblesse de cœur. Il voulait qu’elle devienne sa compagne mais elle était la fille du Comte de Morteau et il lui semblait inenvisageable d’épouser un roturier. Cependant il avait décidé de devenir noble en s’investissant et déjà il allait être nommé Seigneur de Faulquemont dans un mois. Il avait réclamé sa présence à ses côtés pour la cérémonie. Elle avait accepté mais en précisant en tant qu’amie. A chaque fois, elle pensait le décourager tant elle exigeait, mais il semblait avoir décidé de tout faire pour elle. Lysiane en était même perplexe. Il fallait qu’il soit vraiment amoureux pour persister et vouloir venir vivre à Dole. Et elle ignorait ce qu'elle ressentait. Que manquait-il pour qu’elle ait envie de passer sa vie à ses côtés ? Et comment allait-il réagir au dernier message qu’elle lui avait adressé ?

Toute à ses pensées, Lysiane n’en continuait pas moins de trier les robes qu’elle voulait emporter ainsi que des braies et chemises au cas où elle ferait plusieurs sorties à cheval. Elle préférait souvent monter en cavalière plutôt qu’en amazone car cela lui permettait de longs galops sur sa jument. Une fois, quelle eut finit de choisir les effets qu’elle emporterait, elle demanda à sa servante, Emma, de les plier et ranger dans la malle.

Elle alla ensuite à sa coiffeuse, saisit un peigne et commença à démêler ses cheveux, un radieux sourire ourlant ses lèvres devant son reflet. Non pas qu’elle appréciait d’être belle pour parader mais parce que simplement elle aimait la beauté et que c’était souvent un atout pour arriver à ses fins. Elle demanda à Emma de ranger également ses peignes et parfums ainsi que sa cassette de messages dans la malle puis elle alla chercher les deux gardes, Colin et Gaspard, que son père lui avait attribuée pour assurer sa protection à Dole et lors de ses voyages. Elle leur demanda de prendre la malle et de la déposer dans la carriole dont l’un des deux tiendrait l’attelage.

Lysiane alla ensuite donner ses ordres à sa servante et enfiler sa cape avant de rejoindre les deux gardes, monter sur Canelle et donner le signe du départ. Il était encore de bonne heure, le soleil était levé depuis peu. Ils sortirent de Dole et prirent la route en direction de Poligny. A mi-distance, ils devraient tourner à l’est en direction des terres du baron. La route fut assez aisée et praticable jusqu’au village de Mont-sous-Vaudrey où ils arrivèrent vers midi. Ils s’arrêtèrent dans une auberge pour se restaurer avant de continuer leur voyage. Le chemin qu’ils empruntèrent alors vers l’est était assez étroit et parfois boueux. Ils eurent la chance de ne croiser aucun brigand mais il est vrai que ceux-ci agissaient essentiellement de nuit.

Vers le milieu de l’après-midi, ils virent enfin par-delà des champs, le château de Villers-Farlay qui dominait. Ils ralentirent un peu l’allure, Lysiane détaillant d’un regard vif les alentours et ils approchèrent du pont-levis. Les gardes du baron les avaient repérés depuis le poste de garde et certainement avaient prévenu le capitaine. Ils avancèrent doucement jusqu’à l’enceinte, Lysiane ayant sorti la missive d’invitation de Gilded au cas où le personnel du baron ne serait pas averti. Mais elle arborait un regard fier et un calme sourire même si elle avait hâte de se rafraichir. Ses deux gardes aux couleurs de Morteau étaient juste derrière elle. Elle s’adressa aux deux gardes derrière la herse baissée, d’une voie douce mais ferme.

Bonjour, je suis Damoiselle Lysiane d’Ormerach, fille du Comte de Morteau et invitée par Sir Gildedcrotch, Baron de Villers-Farlay.

Elle resta sur sa jument, attendant leur réponse ou que se présente le dévoué Gründig.

Le dénommé Gründig était toujours présent, attendant le bon moment pour intervenir. Il préférait en général laisser ses hommes irriter les arrivants, ce qui lui donnait une indication sur ceux-ci. S'ile étaient maîtres d'eux, il pouvait compter sur leur bons sentiments... En apparence !
Il sourit intérieurement. Orthis était vraiment sans éducation. Et il en rajoutait ! Allait-elle faire demi-tour ? En ce cas, il avait raison de le laisser agir comme cela.
Mais la jeune femme, bien qu'un tic nerveux agitait sa jolie bouche, semblait décidée à resteret à demeurer aussi stoïque que possible. Aussi se présenta-t-il tout à coup devant elle, dominant de sa masse la jeune femme et les gardes qui, bien que très forts en apparence, ne pouvaient égaler sa musculature impressionante
Il la regarda droit dans les yeux, silencieux, durant de longues secondes puis...

- Je SUIS Gründig, Ma Dame.

Il se tourna vers ses hommes :

- Je m'en occupe.

Si les hommes étaient déçus, ils n'en laissaient rien paraître. Ils se retirèrent de bonne grâce, comme s'ils n'avaient jamais été là. Mais leur Capitaine savait qu'à tout moment, à la moindre alerte, ils seraient prêts à intervenir de la manière la plus efficace qui soit. Il pouvait compter sur eux, et eux sur lui.

- Voyons cette missive, dit-il, tendant une main gigantesque vers la jeune femme

Lorsque Lysiane vit Gründig se pointer devant elle, la jeune fille resta une seconde sidérée devant une carrure aussi impressionnante. Elle ne put s’empêcher de le regarder de haut en bas et de noter en remontant son regard, le diamètre imposant des cuisses et des bras.

Elle descendit de sa jument avec grâce mais en se retournant vers Gründig, elle eut un étrange sentiment. C’est fou de se sentir si petite et fragile devant une telle masse. Elle qui n’hésitait pas à aller à l’assaut lors des batailles, se sentait soudain vulnérable. Et le ton de sa voix et l’obéissance de ses hommes, lui prouva qu’elle avait mal jugé l’organisation de la baronnie.

Elle en était soulagée et comprenait pourquoi le baron avait une telle confiance en Gründig. Par contre, pourquoi Gilded parlait de lui comme un rustre ? Apparemment, il avait assisté à la conversation puisqu’il savait qu’elle détenait une missive et il devait savoir lire. Mais pourquoi se sentit-elle soudain gênée en lui tendant la missive.

La voici

Sa main fine parut minuscule dans l’énorme main et elle y déposa délicatement le parchemin. Comment allait-il réagir aux mots du baron. Elle réalisait que le message parlait de combat entre eux et elle espérait que Gründig n’allait pas croire que c’était elle la cause de ses blessures. Pourvu que le baron l’ait prévenu. Finalement, le « Je pense à vous » était parfait. Une légère rougeur colorait ses joues même si son regard semblait impassible et qu’elle gardait un petit sourire. Elle bénissait les nombreuses heures de séances éducatives de ses précepteurs à Morteau.

Citation :

Missive

De Gildedcrotch A Lysiane, Mer 7 Mai - 12:52
Ma Dame,

Je vous envoie cette missive depuis l'Helvétie en espérant qu'elle franchisse les différents barrages qui pourraient s'opposer à ce que vous la receviez.
Je suis enchanté d'avoir pu faire votre connaissance et espère qu'il en est de même pour vous.
Je ne puis pour l'heure vous rejoindre afin de continuer notre combat, mais sachez, ma Dame, que ma blessure ne m'empêche pas d'affuter mes armes.
En attendant, et si vous en éprouvez le désir, je vous invite à vous rendre en mes terres où vous serez accueilli, probablement très fraîchement par le très rustre mais très dévoué Gründig.

Jusqu'au revoir Ma Dame.
Je pense à vous.
Gilded

Lysiane resta impassible devant le ton péremptoire de Gründig, comprenant tout à fait qu’il gère la sécurité des terres du baron. Elle n’avait de toute façon aucune crainte à éprouver et sans poser aucune question, elle alla donc déposer son épée et son bouclier dans le coin du poste de garde désigné par Gründig en donnant l’ordre à Gaspard et Colin de faire de même et d’aller ensuite dans les ailes réservées tandis qu’elle suivrait Gründig.

Les gardes de Morteau obtempérèrent, sachant qu’elle était en sécurité à la Baronnie. Ils allèrent d’abord s’occuper des chevaux avant d’aller se restaurer et se reposer dans la salle qui leur serait affectée.

Lysiane revint vers Gründig, commençant à se sentir plus à l’aise avec l’imposante masse du capitaine et lui adressant un sourire poli et un regard interrogateur, elle reprit d’une voix particulièrement douce :

Pourrais-je récupérer la missive ?

Elle tenait au parchemin, aimant le relire et surtout le « je pense à vous » qui la troublait.

Est-ce que je pourrais me rafraîchir ? Croyez-vous que je pourrais rester la nuit pour me reposer avant de rentrer à Dole ?

Elle s’abstint de le questionner davantage, attendant ses réponses et ayant hâte de faire un peu de toilette.